Quelques éléments de réflexions autour du Covid-19, de la force majeure et de l’imprévision

Depuis le 28 février 2020, l’Etat considère le coronavirus COVID-19 comme un « cas de force majeure » pour les marchés publics ; ainsi les entreprises ayant des marchés publics d’Etat ne seront pas pénalisées en cas de retard de livraison. Mais qu’en est-il pour les contrats conclus entre les sociétés, les commerçants, et plus généralement entre les personnes privées ?

La force majeure

Afin de limiter ou d’exclure toute responsabilité liée à l’exécution d’un contrat, des entreprises vont tenter d’invoquer un cas de force majeure liée à la propagation du virus.


Sur les caractéristiques de la force majeure : extériorité, imprévisibilité, irrésistibilité : article 1218 alinéa 1 du code civil :
[1]

La force majeure est caractérisée lorsque, de manière cumulative, il survient un événement :

  • qui échappe au contrôle du débiteur (extériorité) ;
  • qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat (imprévisibilité) ;
  • et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées (irrésistibilité).


« L’imprévisibilité » de l’événement qualifié de force majeure s’apprécie au jour de la conclusion du contrat. Pour le coronavirus, si la question ne se pose pas pour des contrats anciens, il faudra s’interroger sur le moment à partir duquel l’impact du coronavirus sur le contrat aurait pu (ou dû) être anticipé, et sur les mesures prises en conséquence. La gravité et le taux de complication ou de mortalité du virus ainsi que l’existence ou non d’un traitement (ce n’est pas le cas aujourd’hui pour le COVID-19) et la facilité à limiter le risque de contamination (port de vêtements couvrants ou de masques par exemple) devraient être prises en compte pour déterminer si le critère « d’irrésistibilité » est bien rempli. La mise en œuvre de mesures sanitaires par les pouvoirs publics empêchant le débiteur de satisfaire à ses obligations contractuelles est également prise en compte. La localisation de l’évènement de force majeure importe dans certains cas. Le principe de précaution peut-il être pris en compte lorsqu’il est question de zones à proximité d’une zone dangereuse ? La question est souvent réglée spécifiquement par les professionnels du tourisme. La seule existence d’une épidémie ne suffit donc pas à constituer un cas de force majeure et ne saurait être invoquée comme prétexte pour échapper à ses obligations contractuelles ; il faut un véritable empêchement. Il incombera donc au contractant qui l’invoque de démontrer que ces conditions sont réunies ; qu’il existe un lien de causalité entre l’évènement de force majeure et l’inexécution qui en découle. Si la force majeure peut empêcher ou retarder l’exécution d’une prestation, la jurisprudence considère qu’elle est sans incidence sur le paiement d’une somme due (sauf si la force majeure rend le débiteur insolvable). Par ailleurs, les parties à un contrat peuvent décider librement d’adapter ou de modifier les conditions requises pour établir un cas de force majeure. Elles peuvent même choisir de l’exclure de leur accord. En ce qui concerne les relations entre professionnels et consommateurs, les stipulations contractuelles plus défavorables au consommateur que ce qui est prévu par la loi (même de façon implicite) sont susceptibles d’être nulles, car abusives. Est notamment considérée comme nulle, toute clause « qui supprime ou réduit le droit à réparation du consommateur en cas de manquement par le professionnel à l’une de ses obligations », ce qui pourrait être le cas notamment d’une clause donnant une définition trop large de la force majeure (Article R. 212-1 du code de la consommation). En tout état de cause, la détermination de l’existence d’un cas de force majeure relève de l’appréciation souveraine des tribunaux civils ou commerciaux notamment dans les relations entre commerçants ou avec les consommateurs.


Durée de la force majeure : article 1218 alinéa 2 du Code civil[2]

Le Code civil ne prévoit pas de délai précis pour distinguer empêchement temporaire et définitif mais des clauses contractuelles relatives à la force majeure peuvent prévoir un délai au-delà duquel chacune des parties pourra librement résilier le contrat, après une période de négociation pour éviter la résiliation. Il sera vraisemblablement fait référence à la notion de « délai raisonnable ». Si le coronavirus ne constitue pas automatiquement un cas de force majeure au sens de l’article 1218, certaines entreprises pourraient être tentées d’invoquer l’imprévision, désormais admise par l’article 1195 du Code civil[3].


L’imprévision

L’imprévision s’applique dans toute relation contractuelle régie par le droit français et formalisée depuis le 1er octobre 2016. A la différence de la force majeure, les événements permettant de l’invoquer doivent rendre l’exécution d’un contrat non pas impossible mais « excessivement onéreuse ». Le texte prévoit en outre qu’en cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. Certaines parties préfèrent exclure l’application de cet article, se référant à l’acceptation du risque par les contractants afin notamment d’éviter de laisser au juge une liberté excessive dans l’aménagement du nouveau régime contractuel. Il se peut aussi que, quel que soit le droit applicable, le contrat définisse et régisse, de façon plus ou moins détaillée, extensive ou restrictive, le régime de l’imprévision (en anglais les clauses dites de « hardship ») et ses conséquences sur les parties.  Il importe donc d’examiner le contenu de ses contrats, si l’on souhaite invoquer l’imprévision. En conclusion et sous réserve des contentieux à venir et des décisions de justice qui statueront sur ces problématiques, il est important d’examiner les circonstances prévalant au moment de la signature d’un contrat et celles existant au moment où on souhaite faire jouer la force majeure ou l’imprévision.

[1] Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. [2] « Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue, à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations. » [3] L’article 1195 du code civil dispose que « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la négociation ».

 

Par Marie-Sophie Guigou Avocat Associé intervenant en droit des affaires commerciales, civiles et immobilière