Le dispositif mis en place par le gouvernement relatif au paiement des loyers afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de Covid -19 prévoit uniquement de neutraliser les sanctions pour non-paiement des loyers et charges échus entre le 12 mars 2020 et un délai de deux mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire.
Autrement dit, durant cette période de crise sanitaire liée au Covid-19, les loyers et charges restent exigibles mais le non-paiement ne sera pas sanctionné par des pénalités de retard ou par l’application de la clause résolutoire.
Dans la mesure où aucune précision n’est apportée par les textes, le bailleur conserve la possibilité de mettre en place des saisies conservatoires, voire des saisies attributions, s’il est titulaire d’un bail notarié.
Dans ce contexte, quelles sont les solutions issues du Code civil qui permettraient aux entreprises d’obtenir la suspension ou l’annulation définitive de leurs loyers pendant cette crise sanitaire ?
L’EXCEPTION D’INEXECUTION
L’exception d’inexécution est régie par les articles 1219 et 1220 du Code civil résultant de l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations.
Elle peut être invoquée par une partie au contrat pour suspendre l’exécution de son obligation dès lors que l’autre partie n’exécute pas ou n’exécutera manifestement pas à l’échéance son obligation et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves.
Ainsi, un locataire qui a subi la fermeture administrative de son local pour lutter contre la propagation du Covid-19, pourrait alors invoquer l’exception d’inexécution pour suspendre son obligation de payer les loyers, au motif que le bailleur n’est pas en mesure de satisfaire à son obligation de délivrance d’un local conforme à sa destination.
Dans ce cas, le locataire devra obligatoirement en informer le bailleur.
LA FORCE MAJEURE
La force majeure est définie par l’article 1218 du Code civil issu de l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016, qui dispose qu’« il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».
En conséquence, pour être qualifié de cas de force majeure, un événement doit remplir les conditions suivantes :
1- Il doit être indépendant de la volonté de celui qui ne peut plus exécuter ses obligations,
2- Il doit être imprévisible lors de la conclusion du contrat,
3- il doit être inévitable et insurmontable rendant impossible l’exécution de l’engagement.
Une entreprise qui n’a pas subi la fermeture administrative de son local pourrait alors se prévaloir de la force majeure en démontrant qu’elle remplit ces trois conditions, sous réserve que la force majeure n’ait pas été écartée par les clauses du bail.
Attention, en l’état du droit positif, un locataire serait mal fondé à s’exonérer du paiement de ses loyers en lieu et place d’une suspension, en invoquant un cas de force majeure.
En effet, la Cour de cassation a pu juger aux termes d’un arrêt publié (Cass. Com., 16 septembre 2014), que « le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de ce cette obligation en invoquant un cas de force majeure ».
Le champ d’application de la force majeure se limite ainsi aux obligations de faire et de donner en excluant l’obligation de payer une somme d’argent.
L’IMPREVISION
La mise en œuvre du mécanisme de l’imprévision est régie par l’article 1195 du Code civil issu de l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 qui précise que « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »
En se fondant sur la théorie de l’imprévision, le locataire peut solliciter une renégociation des loyers, mais en aucun cas une suspension du paiement des loyers.
Attention, le mécanisme de l’imprévision ne peut être mis en œuvre que pour les baux conclus ou renouvelés depuis le 1er octobre 2016, sous réserve qu’il n’ait pas été exclu par les clauses du bail.
In fine, à défaut d’accord entre les parties, le sort des loyers durant cette période sur le fondement des dispositions du Code civil, dépendra de l’appréciation du magistrat qui aura été saisi de la question.
En tous cas, une entreprise qui rencontre des difficultés à cause de la crise sanitaire actuelle pourra saisir le juge pour solliciter des délais de paiement sur le fondement de l’article 1343-5 du Code civil.
En conclusion, en cette période de crise sanitaire sans précédent, nous vous conseillons d’analyser votre bail pour entreprendre efficacement une négociation avec votre bailleur sur le sort de vos loyers et charges, étant précisé que la phase de résolution amiable des conflits est aujourd’hui un préalable obligatoire à la saisine du tribunal.
Par Emilie Andreozzi, Avocat intervenant en droit commercial, droit des sociétés et fiscalité des entreprises