Pour faire face à l’épidémie de Covid-19, l’article 11 de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence, autorise le gouvernement à prendre par ordonnances, dans un délai de trois mois, toutes mesures, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, destinées notamment à faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de Covid – 19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d’activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l’emploi.
Le paragraphe g du 1° de cet article 11 précise que le gouvernement est autorisé à prendre une ordonnance « permettant de reporter intégralement ou d’étaler le paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d’être appliquées en cas de non-paiement de ces factures ».
Le 25 mars suivant, le gouvernement adopte l’ordonnance n°2020-316 relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de Covid -19.
Le gouvernement vient ainsi préciser les bénéficiaires de la mesure relative aux loyers et fournitures ainsi que les contours de cette mesure.
BÉNÉFICIAIRES DE LA MESURE
L’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 prévoit que les bénéficiaires de la mesure relative aux loyers et fournitures sont :
- les personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020, portant création d’un fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de Covid-19,
- les personnes physiques et morales de droit privé qui poursuivent leur activité dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire » (sous réserve de la production d’une attestation de l’un des mandataires de justice).
Les personnes susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité au sens de l’ordonnance n° 2020-317 portant création du fonds de solidarité sont les « personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique, particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du covid – 19 et des mesures prises pour en limiter la propagation ».
Toutefois, l’article 1er alinéa 2 de l’ordonnance n° 2020-316 précise qu’un décret déterminera les critères d’éligibilité à ces dispositions, et notamment « les seuils d’effectifs et de chiffre d’affaires des personnes concernées ainsi que le seuil de perte de chiffre d’affaires constatée du fait de la crise sanitaire »
Il s’agit du décret n° 2020-378 du 31 mars 2020 pris en articulation avec le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020, modifié par le décret no 2020-394 du 2 avril 2020, relatifs à la création du fonds de solidarité aux entreprises.
L’article 1er du décret no 2020-378 du 31 mars 2020 dispose que « peuvent bénéficier des dispositions (relatives notamment au paiement des loyers) les personnes physiques et personnes morales de droit privé résidentes fiscales françaises exerçant une activité économique, remplissant les conditions et critères définis aux 1o et 3o à 8o de l’article 1eret aux 1o et 2o de l’article 2 du décret no 2020-371 susvisé ».
Les conditions pour être bénéficiaire de la mesure portant sur le paiement des loyers sont donc les suivantes :
1– personnes physiques et personnes morales de droit privé résidentes fiscales françaises exerçant une activité économique ;
2– ayant débuté leur activité avant le 1er février 2020 ;
3– dont l’effectif est inférieur ou égal à dix salariés, ce seuil étant calculé selon les modalités prévues par le I de l’article L. 130-1 du Code de la sécurité sociale ;
4– le montant de leur chiffre d’affaires constaté lors du dernier exercice clos doit être inférieur à un million d’euros. Pour les entreprises n’ayant pas encore clos d’exercice, le chiffre d’affaires mensuel moyen sur la période comprise entre la date de création de l’entreprise et le 29 février 2020 doit être inférieur à 83 333 euros. La notion de chiffre d’affaires s’entend, selon le décret no 2020-371 du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité, comme le chiffre d’affaires hors taxes ou, lorsque l’entreprise relève de la catégorie des bénéfices non commerciaux, comme les recettes nettes hors taxes ;
5-leur bénéfice imposable augmenté, le cas échéant, des sommes versées au dirigeant, au titre de l’activité exercée, ne doit pas excéder 60 000 euros au titre du dernier exercice clos. Pour les entreprises n’ayant pas encore clos un exercice, le bénéfice imposable augmenté, le cas échéant, des sommes versées au dirigeant est établi, sous leur responsabilité, à la date du 29 février 2020, sur leur durée d’exploitation et ramené sur douze mois ;
6-les personnes physiques ou, pour les personnes morales, leur dirigeant majoritaire ne doivent pas être titulaires, au 1er mars 2020, d’un contrat de travail à temps complet ou d’une pension de vieillesse et ne doivent pas avoir bénéficié, au cours de la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020, d’indemnités journalières de sécurité sociale d’un montant supérieur à 800 euros ;
7– elles ne doivent pas être contrôlées par une société commerciale au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce ;
8– lorsqu’elles contrôlent une ou plusieurs sociétés commerciales au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce, la somme des salariés, des chiffres d’affaires et des bénéfices des entités liées doivent respecter les seuils fixés relatifs au chiffre d’affaires, à l’effectif et au bénéfice ;
9– elles doivent avoir fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public intervenue entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 ou elles doivent avoir subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50 % durant la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 par rapport à la même période de l’année précédente ou, pour les entreprises créées après le 1er mars 2019, par rapport au chiffre d’affaires mensuel moyen sur la période comprise entre la date de création de l’entreprise et le 29 février 2020 ou, pour les personnes physiques ayant bénéficié d’un congé pour maladie, accident du travail ou maternité, durant la période comprise entre le 1er mars 2019 et le 31 mars 2019, ou pour les personnes morales dont le dirigeant a bénéficié d’un tel congé pendant cette période, par rapport au chiffre d’affaires mensuel moyen sur la période comprise entre le 1er avril 2019 et le 29 février 2020.
CONTOURS DE LA MESURE
L’article 4 de l’ordonnance no 2020-316 du 25 mars 2020 dispose que « les personnes mentionnées à l’article 1er ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du Code de commerce ».
Manifestement, il ne s’agit pas d’une mesure de report ou d’étalement telle que prévue par la loi d’urgence n°2020-290 du 23 mars 2020 mais d’une mesure de neutralisation des sanctions pour non-paiement des loyers et charges échus entre le 12 mars 2020 et un délai de deux mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire.
Les loyers et charges restent donc dus pendant la période couverte par cette mesure mais les locataires ne risquent pas d’être sanctionnés par des pénalités ou la clause résolutoire en cas de non-paiement.
Cela étant, en cas de non-paiement des loyers et charges en cette période et à défaut d’accords formels avec les bailleurs quant à leur sort et leurs modalités de paiement, il est à craindre une explosion des contentieux, dès la sortie de cette crise sanitaire.
En conclusion, le champ d’application de la mesure relative aux loyers et ses effets sont limités. Dans ces conditions, pour tenter de s’exonérer de tout ou partie du paiement de ces loyers et charges, certains mécanismes du droit commun (exception d’inexécution, réduction du prix, force majeure, imprévision, etc.) restent à étudier.
Par Emilie Andreozzi, Avocat intervenant en droit commercial, droit des sociétés et fiscalité des entreprises