Expertise, effet suspensif de l’article 2239 du Code civil et délais de forclusion

Il ressort des dispositions de l’article 2239 du code civil (dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008) que : « La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès. Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée. »

La Cour de cassation dans un arrêt du 31 janvier 2019 (N°18-10.011) a jugé que l’effet suspensif résultant de la désignation d’un expert judiciaire par le juge des référés ne profitait pas aux défendeurs.

Par cet arrêt, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a considérablement réduit l’intérêt de l’article 2239 du Code civil.

Une société d’HLM se plaignant de malfaçons résultant de travaux de couverture, a obtenu en référé la désignation d’un expert, puis, après dépôt du rapport d’expertise, a saisi un tribunal de commerce à fin d’indemnisation.

Le constructeur a notamment sollicité, reconventionnellement, la condamnation de la société d’HLM au paiement de ses factures.

Le Tribunal de commerce a accueilli les demandes respectives des parties.

La société d’HLM a relevé appel du chef du jugement accueillant la demande du constructeur à son encontre.

La Cour d’appel a jugé irrecevable comme prescrite la demande de règlement de factures formée contre la société d’HLM au motif que l’assignation en référé n’avait eu d’effet que pour la seule société d’HLM.

La Cour de cassation, rejette le pourvoi formé par le constructeur au motif que « la suspension de la prescription, en application de l’article 2239 du Code civil, lorsque le juge accueille une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès, qui fait, le cas échéant, suite à l’interruption de cette prescription au profit de la partie ayant sollicité cette mesure en référé et tend à préserver les droits de la partie ayant sollicité celle-ci durant le délai de son exécution, ne joue qu’à son profit ».

En d’autres termes, l’effet suspensif résultant de la désignation d’un expert judiciaire par le juge des référés ne profite pas aux défendeurs.

Cette solution est contraire à l’alinéa 2 de l’article 2239 du Code civil qui dispose que « le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée » et réduit, à nouveau, l’intérêt de cet article.

La Cour de cassation a en effet d’ores et déjà affirmé que la suspension prévue à l’article 2239 du Code civil n’était pas applicable aux délais de forclusion (Cass. 3e civ, 3 juin 2015, n° 14-15.796.).

En effet la désignation d’un expert judiciaire n’a pas d’effet suspensif pour les désordres relevant de la garantie décennale, de la garantie biennale, de la garantie de parfait achèvement, de la garantie des vices cachés (article 1648 code civil) ou de la garantie des vices apparents (article 1642 du même code).

Le défendeur qui, contrairement au demandeur, ne bénéficie ni de l’interruption des délais de prescription et de forclusion par la demande en justice prévue par l’article 2241 du Code civil, ni de l’effet suspensif de l’article 2239 du Code civil, doit saisir le juge du fond dès la connaissance de l’existence des désordres, et ce, même si l’expert n’a pas encore déposé son rapport.

A noter : le délai de 2 ans dans lequel est enfermée l’action en garantie des vices cachés est interrompu lorsque l’acheteur saisit le juge des référés d’une demande d’expertise (C. civ. art. 2241 ; Cass. 3e civ. 5-12-2001 n° 00-87.898 : RJDA 2/02 n° 146).

L’interruption du délai efface le délai acquis et fait courir un nouveau délai de même durée que l’ancien (C. civ. art. 2231).

Le nouveau délai de 2 ans court à compter de la date de prononcé de l’ordonnance désignant l’expert (Cass. 3e civ. 8-7-2009 n° 08-13.962 : BPIM  6/09 inf. 468).

Ce point de départ peut toutefois être reporté à la date du dépôt du rapport d’expertise, date à laquelle l’acheteur a eu une connaissance certaine du vice (Cass. 1e civ. 17-2-2016 n° 15-12.741 F-D : RJDA 6/16 n° 430). Mais encore faut-il que l’acheteur invoque ce report devant le juge du fond et non, comme dans cette espèce, seulement devant la Cour de cassation.

A défaut, l’action de l’acheteur est prescrite même s’il a agi moins de 2 ans après le dépôt du rapport.

Ainsi en conclusion si une expertise ne suspend plus la prescription pour les parties qui ne sont pas en demande, elle peut néanmoins influer sur son point de départ.

En effet, la prescription court à compter du jour où le titulaire de l’action « a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » (article 2224 du code civil).

Ainsi, il pourrait être soutenu que si la prescription n’a pas été suspendue durant les opérations d’exper­tise, elle n’a cependant pas commencé à courir car tant que le rapport n’est pas déposé, les parties ignoraient précisément les faits leur permettant d’agir en justice.

 

Par Marie-Sophie Guigou Avocat Associé intervenant en droit des affaires commerciales, civiles et immobilière